Du nickel dans l’air de Limoilou | Le Soleil.

Publié le 12 mars 2013 à 05h00 | Mis à jour à 07h32

Le Soleil

Du nickel dans l’air de Limoilou

La citoyenne Véronique Lalande a été la première, l’automne dernier, à sonner l’alarme sur la composition de la poussière à Limoilou. (LE SOLEIL, FRÉDÉRIC MATTE)

JEAN-FRANÇOIS CLICHE

(Québec) Le nuage de poussière rouge qui s’est déposé sur Limoilou, l’automne dernier, n’était peut-être pas un incident aussi isolé qu’on pourrait le croire, après tout. D’après les résultats d’une étude préliminaire d’un chimiste de l’UQAR, le quartier semble bel et bien avoir un problème de pollution aux métaux, plus précisément au nickel, une substance cancérigène.

De mai à juillet dernier, une petite équipe dirigée par le professeur Richard Saint-Louis, un spécialiste en chimie environnementale, a prélevé des échantillons d’air en cinq points du quartier Maizerets, simplement dans le but de tester un nouveau dispositif de captation des contaminants, à base de mousse de polyuréthane.

«Au départ, la question était: est-ce qu’il y a des contaminants de type organique et qu’est-ce qu’il y a là-dedans. On voulait voir si ça fonctionne, cette approche-là. Et ce dont on s’est rendu compte après deux mois d’exposition, c’est qu’il y avait des dépôts de poussière assez importants qui avaient été captés, alors on les a analysés», a relaté M. Saint-Louis, hier, lors d’un entretien téléphonique avec Le Soleil.

Mais M. Saint-Louis a alors décelé des niveaux inquiétants de nickel dans la poussière limouloise : dans ses cinq stations, qui s’étalaient le long du boulevard Henri-Bourassa de (grosso modo) La Canardière jusqu’à la 26e Rue, les concentrations variaient d’environ 120 milligrammes de nickel par kilogramme de poussière (mg/kg) à 790 mg/kg. Elles surpassaient donc systématiquement, et souvent par plusieurs fois, les normes du ministère provincial de l’Environnement pour la qualité des sols pour les zones résidentielles, qui sont de 100 mg/kg.

Pépin technique

C’était, soulignons-le, plusieurs mois avant qu’un pépin technique chez l’entreprise portuaire Arrimage Québec ne soulève, en novembre, un gros nuage d’oxyde de fer – de «rouille», si l’on préfère. Cela suggère donc que ces taux de nickel n’étaient pas dus à un accident, mais qu’ils pourraient bien être la norme dans ce quartier.

Dans les villes, les teneurs en nickel de la poussière se situent généralement entre 10 et 50 mg/kg. Dans la ville d’Ottawa, localité la plus comparable à Québec que nous ayons pu trouver, ce taux est de 15 mg/kg.

D’après des documents du Center for Disease Control, aux États-Unis, le nickel est considéré comme cancérigène ou possiblement cancérigène par la plupart des agences sanitaires dans le monde. Plusieurs études ont montré que les employés des raffineries de nickel, qui sont parmi les plus exposés, meurent davantage de cancers des poumons et des sinus. Mais il faut aussi ajouter, ici, que d’autres travailleurs industriels moins exposés – dans l’extraction du nickel ou dans la production de ses alliages, notamment – ne souffrent pas de ces maux. La toxicité varie également beaucoup selon la molécule dans laquelle le nickel se trouve. Quant au cobalt, on a assez peu d’information sur sa toxicité, dit M. Saint-Louis.

Maintenant, d’où proviendrait tout ce nickel? Difficile à dire avec précision, dit-il, mais les concentrations observées étaient clairement plus fortes à proximité de la zone industrielle qui borde le sud de Maizerets.

«Un peu comme on s’y attendait, pour des métaux comme le fer, le zinc ou le cuivre, on n’a pas vraiment vu de différence selon qu’on était proche ou loin de la zone industrielle, parce que ce sont des polluants urbains habituels. Mais avec des contaminants comme le cobalt, le nickel et l’arsenic, les concentrations augmentent quand on s’approche de la zone», dit M. Saint-Louis.

Source unique

En outre, précise le chimiste, le ratio du nickel sur le cobalt est toujours le même – soit environ 18 fois plus de nickel que de cobalt -, peu importe l’endroit du quartier où l’on se trouve, ce qui suggère que ces deux contaminants ont une source unique.

Cependant, tient à nuancer M. Saint-Louis, il s’agit là de résultats très préliminaires basés sur un échantillon limité et récolté par une méthode dite «passive» qui n’est pas bien adaptée pour mesurer la qualité de l’air. Les procédés habituels pour ce faire impliquent généralement qu’un moteur pousse de l’air dans un filtre de façon à ce que l’on puisse avoir une idée du volume d’air analysé. Ce n’était pas le cas du dispositif déployé l’été dernier, si bien que M. Saint-Louis n’a pu que déterminer la concentration des contaminants dans la poussière – d’où les mesures en mg/kg.

Dans une présentation faite à des citoyens de Limoilou récemment, M. Saint-Louis a décrit les critères de qualité des sols comme une «approximation» pour déterminer si les valeurs observées sont inquiétantes ou non. «Ce serait à valider avec des méthodes reconnues», dit-il.

Or si M. Saint-Louis n’est «pas prêt à aller jusque-là [incriminer le port], mais nous, on l’est», a réagi hier la militante Véronique Lalande, qui a été la première, l’automne dernier, à sonner l’alarme sur la composition de la poussière à Limoilou. Si le nuage rouge de novembre ne l’inquiète plus autant qu’avant, l’épisode aura tout de même mis la jeune femme sur la piste de la pollution métallique, et c’est justement le nickel qui l’inquiète maintenant davantage.

Or à ses yeux, la source semble évidente : «Le Port de Québec est le plus important terminal de nickel en Amérique du Nord», fait valoir Mme Lalande.

Et sa signature chimique, soit son ratio nickel/cobalt de 18/1, est très proche de celle du nickel qui sort de la mine de Voices Bay, au Labrador, qui achemine sa production par bateau à Québec.

Mme Lalande dit avoir obtenu du provincial de plus amples données qu’elle rendra publiques la semaine prochaine, après les avoir présentées au gouvernement.

via Du nickel dans l’air de Limoilou | Jean-François Cliche | Environnement.

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