À la recherche du nickel… | Le Soleil.

Publié le 23 mars 2013 à 05h00 | Mis à jour à 05h00

Le Soleil

À la recherche du nickel…

JEAN-FRANÇOIS CLICHE

(Québec) «Cherchez un peu dans le secteur, c’est une zone industrielle, il y en a d’autres [sources potentielles de nickel].» Le pdg du Port de Québec, Mario Girard, était formel lors des entrevues qu’il a accordées cette semaine au sujet de la pollution au nickel dans Limoilou : le port a été montré du doigt trop rapidement, car il y aurait dans le même secteur, dit-il, plusieurs autres sources possibles de contamination. Mais il n’a pas voulu en nommer, alors Le Soleil l’a pris au mot et en a cherché…

D’après des données du ministère de l’Environnement, rappelons-le, l’air de Limoilou recèle des pous­sières de nickel dans des concen­trations de plusieurs fois supérieures aux normes provinciales, soit 52 nanogrammes par mètre cube (ng/m3), alors que la limite légale est de 12 ng/m3. Et une étude préliminaire de l’UQAR a trouvé l’été dernier que les concentrations de nickel dans la poussière limouloise (le long d’Henri-Bourassa, du moins) augmentent effectivement à proximité de la zone industrielle de la Canardière, juste à côté du port.

Or il n’y a pas grand-monde dans ce parc industriel : un huissier de justice, une ONG sanitaire, un ferrailleur (AIM) et l’usine de papier Stadacona.

D’après un document récent du gouvernement de l’Ontario, qui a révisé en 2011 ses normes pour le nickel atmosphérique, l’humanité est la principale source de nickel dans l’air, en rejetant entre 40 000 et 50 000 tonnes annuellement, contre 8500 tonnes pour les causes naturelles, comme les volcans. La principale source humaine (62 %) est la combustion d’huiles lourdes et de mazout. L’extraction de nickel et son raffinage compteraient pour 17 % du total, les incinérateurs municipaux, pour 12 %, la métallurgie du nickel, pour 5 %, et des «sources mineures» fourniraient les derniers 4 %.

À vue de nez, donc, cela pourrait théoriquement tourner les soupçons vers AIM et la Stadacona. Attention, il ne s’agit pas ici d’accuser qui que ce soit de quoi que ce soit – de toute façon, comme on le verra, la plupart des «suspects» sont «innocentés» par un bref examen. L’idée est simplement d’examiner quelles pourraient être les autres sources de nickel, s’il s’avérait que le port n’était pas en cause.

À cette liste, M. Girard a ajouté jeudi lors d’un entretien téléphonique que «les autoroutes, c’est une source potentielle, et il y a même des hôpitaux qui peuvent en être s’ils brûlent leurs déchets biomédicaux».

Alors voyons voir…

1) L’incinérateur

L’épisode de la poussière rouge, l’automne dernier, a donné un répit à ce mal-aimé du quartier, mais il reste que, de manière générale, les incinérateurs municipaux figurent parmi les sources principales de nickel atmosphérique. À l’hôtel de ville, cependant, on jure que le nickel fait partie des contaminants dont on mesure les rejets et que l’incinérateur n’en émet pas du tout, ou alors des traces infinitésimales.

2) L’usine Stadacona

Les huiles lourdes, principales sources de nickel anthropique dans l’air, sont parfois utilisées par les papetières pour chauffer leurs cuves. Cependant, la Stadacona achète de la vapeur à l’incinérateur de Québec depuis des années, ce qui diminue d’autant sa consommation d’autres sources d’énergie, quelles qu’elles soient. L’usine brûle-t-elle quand même un peu de mazout, beaucoup ou pas du tout? Impossible de le savoir, puisqu’à l’heure d’écrire ces lignes, les appels du Soleil à l’usine n’avaient pas été rendus.

3) L’autoroute

Il est vrai, comme le signale Mario Girard, que les routes sont des sources de nickel, en partie parce que les pneus, les freins et le bitume en contiennent. Ainsi, quand on analyse la poussière sur le bord des chemins, on trouve généralement entre 15 et 150 milligrammes de nickel par kilogramme de poussière (mg/kg), ce qui est pas mal. Mais cela demeure nettement moins que les teneurs mesurées à Limoilou l’été dernier par le chimiste de l’UQAR Richard Saint-Louis, qui en a trouvé entre 120 et 790 mg/kg. Ainsi, si l’autoroute Dufferin-Montmorency est une source de nickel dans Limoilou, elle doit être très mineure.

4) Le port de Québec

On attend encore une preuve définitive de sa responsabilité, mais plusieurs éléments militent contre lui, dont son statut de plus important terminal de nickel en Amérique du Nord. Le fait que les échantillons montrent un ratio de nickel/cobalt remarquablement constant suggère l’existence d’une source unique (ou principale) qui libérerait en même temps du cobalt. Et comme les concentrés de nickel qui transitent par le port contiennent aussi du cobalt, cela n’arrange rien pour l’organisation de M. Girard, mais il faut dire ici que la combustion d’huiles lourdes peut elle aussi dégager à la fois du nickel et du cobalt.

Selon le géochimiste de l’Université Laval Georges Beaudoin, qui n’est pas convaincu par ces ratios nickel/cobalt, «si le concentré de nickel est la source de la contamination, on devrait retrouver des particules de pentlandite (Fe,Ni) S, de chalcopyrite (CuFeS2) et de pyrrhotite (FeS) dans la poussière, car c’est la nature des minéraux dans le concentré transbordé au port».

5) Ferrailleur AIM

Sur son site Web, le ferrailleur AIM dit «se spécialiser dans le recyclage d’alliages rares», dont certains contiennent jusqu’à 67 % de nickel. À première vue, donc, l’important ferrailleur pourrait être une source potentielle, mais la maison mère de l’entreprise, à Montréal, signale qu’elle ne fait qu’entreposer et transborder des métaux sur son site de Limoilou, et encore, jamais sous forme de poussière. En outre, AIM fait la fonte et la métallurgie, sources connues de métaux dans l’air, dans l’est de Mont­réal. Source très improbable, donc…

6) Les hôpitaux

Les hôpitaux ont longtemps brûlé eux-mêmes leurs déchets biomédicaux, ce qui pouvait souffler du nickel dans l’air. L’hypothèse apparaît d’autant plus attrayante que le secteur compte trois hôpitaux (l’Enfant-Jésus, L’Hôtel-Dieu et Saint-François d’Assise), mais au CHUQ, on précise que les hôpitaux de la région ne brûlent plus leurs déchets biomédicaux. Ceux-ci sont plutôt récupérés par l’entreprise Stéricycle, qui les achemine à ses locaux de la rue Jean-Perrin, dans Lebourgneuf. Source très, très improbable…

Autres sources :

– Paul Kennedy, Metal in Particulate Material on Road Surfaces, Ministry of Transport, N-Z, 2003, http://www.transport.govt.nz/research/Documents/stormwater_particulate_material.pdf

– Service des normes, Ontario Air Standards for Nickel and Nickel Compounds, ministère de l’Environnement de l’Ontario, 2011, http://www.downloads.ene.gov.on.ca/envision/env_reg/er/documents/2011/010-7188.pdf

via À la recherche du nickel… | Jean-François Cliche | Santé.

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