Pollution au nickel à Québec : drôle d’alibi | Le Soleil.

Samedi 4 mai 2013 | Mise en ligne à 15h05, Le Soleil.

Pollution au nickel à Québec : drôle d’alibi

Malgré un rapport accablant du ministère de l’Environnement (MDDEFP), la compagnie Arrimage du Saint-Laurent n’est toujours pas convaincue d’être la source de la pollution au nickel du quartier Limoilou, dans la basse-ville de Québec. Les taux de nickel mesurés dans l’air entre 2010 et 2012 par le gouvernement (plus de quatre fois la norme) ne sont pas corrélés avec les dates d’arrivage des navires qu’ASL déssert, fait valoir la compagnie. Alors tentons de voir ce que vaut cet alibi…

Depuis le début de cette histoire, les soupçons planent au-dessus d’ASL parce que ses activités font ni plus ni moins du Port de Québec le plus gros terminal de nickel en Amérique du Nord. Le minerai provient principalement de la mine de Voisey’s Bay, au Labrador, et de celle de Raglan, dans le Grand Nord québécois ; le nickel est transporté par bateau jusqu’à Québec, d’où il est transbordé dans des wagons qui l’amènent jusqu’à Sudbury, où il est raffiné et fondu.

Le rapport d’enquête que le MDDEFP a sorti à la mi-avril laissait, franchement, bien peu de doute sur la provenance de ce nickel : celui-ci se trouve dans Limoilou sous la forme de pentlandite, (Ni, Fe)8S9, c’est-à-dire le minerai qui est extrait des mines de nickel. Comme il s’agit d’un sulfure qui n’est pas stable à long terme en présence d’oxygène, sa présence dans l’environnement est exclusivement associée aux activités minières. Et non seulement n’y a-t-il pas de mine de nickel dans la région de Québec, ce qui laisse essentiellement une seule source possible, mais en plus le ministère de l’Environnement a trouvé que les concentrations de nickel dans l’air augmentait quand les vents provenaient du port, et diminuait quand ils soufflaient dans une autre direction.

Or aux yeux de la compagnie, cela ne suffit pas à prouver sa responsabilité — mais ASL a quand même déjà entrepris d’importants travaux pour réduire ses émissions de poussière, notons-le. «Eux-mêmes, au ministère de l’Environnement, avec les documents (sur les arrivages, ndlr) qu’on leur a envoyés, n’ont pas été en mesure de faire des corrélations entre les navires et ce qui se trouve dans les capteurs», s’est défendu hier le dg d’ASL, Jean-François Dupuis. En clair, il n’y a pas de corrélation entre les concentrations de nickel mesurées entre 2010 et 2012 et les dates d’arrivée des navires, non plus qu’avec les quantités de nickel de chaque arrivage.

Eh bien soit, admettons que la corrélation n’existe pas. Alors… Alors quoi ? De ce que j’en sais, cela ne veut pas dire grand chose parce que cette «corrélation» tente de raccorder des données qui, me semble-t-il, ne peuvent tout simplement pas l’être. D’un côté, les filtres du MDDEFP prenaient leurs échantillons de façon bien circonscrite dans le temps, par périodes de 24 heures, une fois aux six jours. Mais de l’autre côté, le déchargement d’un vraquier de nickel prend environ deux jours, et encore cela ne comprend que le transbordement de la cargaison du navire jusqu’à un hangar situé tout près. De là, le nickel est de nouveau manipulé pour être mis sur un train — et de ce que j’en comprends, cela doit ajouter une couple de jours de plus au processus, les trains ne se commandant pas comme des taxis.

Alors contrairement à l’échantillonnage du MDDEFP, l’effet de l’arrivée d’un navire, lui, n’est pas bien délimité dans le temps, mais apparaît beaucoup plus diffus. Et le petit peu que je sais des statistiques me dit que ce genre de différence peut vous aplatir une mesure d’association en un rien de temps. En outre, la direction des vents peut changer pendant toutes ces opérations (ce qui doit arriver souvent si elles s’étirent sur plusieurs jours), ce qui viendrait embrouiller encore plus la «corrélation» d’ASL.

Bref, il me semble que si la compagnie n’a pas trouvé de corrélation entre ses dates d’arrivage et les taux de nickel dans l’air, c’est parce que son indicateur n’était pas bon. Qu’en dites-vous ?

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