Les faux seins de Québec | Le Soleil.

Publié le 22 novembre 2013 à 05h00 | Mis à jour à 09h13, Le Soleil.

Les faux seins de Québec

PHOTOTHÈQUE LE SOLEIL, JEAN-MARIE VILLENEUVE

MYLÈNE MOISAN

(Québec) On ne pourra pas m’accuser d’avoir un parti pris favorable pour le Port. J’ai, deux fois plutôt qu’une, dénoncé son attitude mesquine dans le dossier du nickel dans Limoilou. Surtout au début, quand il niait tout, avant de devoir admettre l’évidence, qu’il était à la source de la poussière toxique.

Dans le dossier des silos, le Port tient à peu près le même discours : je vous l’ai dit, pas vraiment, j’ai consulté, pas tout à fait, je n’avais pas le temps, et puis, tant pis, je fais ce que je veux, je suis une zone franche fédérale. Mettez ça dans votre pipe et fumez ça, les granules, c’est l’avenir, dites-moi merci.

Le Port et Arrimage Québec disent qu’ils sont transparents comme le jour et, du même souffle, procèdent en pleine nuit. S’il est une image qui ne pardonne pas, c’est celle de cet immense ballon blanc gonflé dans le silence de la ville endormie. Nous voilà devant le fait accompli.

Comme le disait si justement mardi le collègue François Bourque, de longues consultations n’auraient rien changé. Les positions sont campées, les pour seraient restés pour et les contre, contre. Le Port aurait tout de même gagné en légitimité, il aurait au moins pu dire qu’il a consulté pour vrai.

Cela n’ayant pas été fait, nous voilà pris avec cette chose qui en deviendra deux. Je suis du camp des «pas si pire que ça». Ces structures, à la fois silos et dômes, sont plantées dans un paysage que le Port a déjà joliment amoché.

Il reste peu d’endroits aussi laids – et aussi visibles – dans la ville. Il y a le trou béant laissé par la démolition de l’église Saint-Vincent de Paul, qui n’est pas près d’être comblé. Il y a ce qu’on appelle le secteur Beauport du port, mais qu’on ne voit presque pas, mis à part les bateaux qui passent devant. Il est rempli de laideur à pleine capacité, le Port veut d’ailleurs l’agrandir, ça n’ira pas avant 2015.

Le temps de consulter.

Pour les granules, le temps pressait. Les premiers bateaux de Rentech sont attendus l’automne prochain. C’était ça ou le Port n’avait pas le contrat. Il en aurait peut-être eu un autre, d’une mine ou je-ne-sais-quoi, du métal ou de la poudre de perlimpinpin, qui auraient irrité tout autant.

Si la poussière rouge n’était pas tombée sur Limoilou l’an dernier, si le Port et Arrimage Québec avaient continué à polluer l’air de la ville à notre insu, les silos seraient apparus dans l’indifférence presque totale. Des voisins auraient poussé quelques hauts cris, sans plus. Les citoyens – et le maire – ont maintenant à l’oeil le Port et Arrimage, qui doivent apprendre à vivre avec ça.

C’est aussi la rançon de cette fierté retrouvée, de cette ville dont nous avons recommencé à rêver depuis 2008. Avant la promenade Samuel-De Champlain, la rive du fleuve était une zone sinistrée, abandonnée. Toutes les mamelles auraient pu y pousser, plus maintenant. Québec la belle ne veut pas de ces faux seins. François Bourque a cité Tartuffe de Molière. Me vient en tête Le dôme de Leloup.

«Dis-moi tous ces gens qui construisirent le dôme pourquoi n’arrivèrent-ils qu’à cette seule solution?

La question était bonne

Alors je réfléchis

Référant aux échos mille fois entendus

Il y a vingt ans je crois naquit le premier fou

Puis plus tard eut lieu l’épidémie

Chaque ville posséda deux ou trois de ces fous

Mais personne au début ne savait qu’ils étaient fous.»

L’avenir nous dira qui sont les fous dans cette histoire. Il est plus facile de regarder 20 ans en arrière que de se projeter aussi loin en avant. Tout le monde s’entend pour dire que le chapelet de réservoirs d’hydrocarbures plantés sur le bord du fleuve il y a 25 ans était trop envahissant.

Que dira-t-on dans 25 ans? Que Québec a raté une belle occasion de suivre la tendance mondiale en ne dégageant pas ses berges? C’est une belle idée, certes, mais on fait quoi du port? La saga des silos nous oblige à réfléchir sur la place qu’occupe cette industrie, qui fait partie de l’ADN de la ville.

On ne peut pas développer à outrance le secteur Beauport, la cour est pleine, comme qui dirait. On ne peut pas non plus déménager les quais au nord de Valcartier. Si on accepte le port, on accepte de sacrifier une partie des berges. On peut bien peinturer les grosses boules blanches, elles resteront des excroissances d’une industrie en pleine expansion.

Fous ou pas, les dirigeants du Port et d’Arrimage Québec n’ont pas fini de multiplier les projets pour gérer la croissance de l’industrie maritime. Des projets dérangeants qui feront réagir, qu’ils devront justifier. Reste à souhaiter qu’ils aient la sagesse de ne pas agir en catimini.

via Les faux seins de Québec | Mylène Moisan | Chroniqueurs.

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