Trois questions à Paule Halley|Le Fil.

Le Fil | Le journal de la communauté universitaire Volume 49, numéro 1830, janvier 20141

Trois questions à Paule Halley sur les poussières rouges dans le port de Québec

Par Pascale Guéricolas

À la mi-janvier, des citoyens de Limoilou ont à nouveau découvert des traces de poussières rouges dans leur quartier. Ce signe visible de pollution proviendrait des activités de transbordement effectuées par l’entreprise Arrimage dans le port de Québec, ce qui empêcherait le gouvernement québécois d’agir selon cette dernière. L’avis de la professeure à la Faculté de droit Paule Halley, qui dirige la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement.

On a l’impression dans cette affaire que les règles québécoises s’appliquent de façon différente parce qu’il s’agit du Port de Québec, une organisation fédérale…

Il n’existe pas d’enclaves fédérales où les règles provinciales en matière d’environnement seraient suspendues. Pourtant, l’entreprise Arrimage invoque cet argument basé sur la doctrine de l’exclusivité des compétences fédérales, un argument qu’on trouve souvent dans des litiges semblables. Il faut savoir que le provincial ne peut pas règlementer les activités de transbordement des navires, car cela relève du fédéral. Par contre, cela ne l’empêche pas d’intervenir pour protéger la qualité de l’air. Récemment, le ministère québécois du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs a agi contre Rio Tinto Alcan, accusé d’avoir répandu de la soude caustique dans la baie des Ha Ha, au Saguenay, lors d’un transbordement à quai. L’entreprise prétendait qu’elle ne pouvait être poursuivie par la province, car son activité était de compétence fédérale. En mars 2009, la Cour du Québec a rejeté cet argument, et Rio Tinto Alcan a été condamné à verser 80 000$ et des frais afférents pour avoir enfreint le règlement sur les matières dangereuses. Autre exemple: la Cour suprême a jugé en 1995 que même si le transport ferroviaire relève du gouvernement fédéral, cela ne donnait pas le droit à Canadien Pacifique de polluer et d’être exonéré des règles du ministère ontarien de l’environnement. Un incendie mal maîtrisé et lié à l’entretien des voies avait incommodé des citoyens.

Qu’attend alors le ministère du Développement durable et de l’Environnement pour agir?

Le Ministère a déjà transmis des avis de non-conformité basés sur le dépassement des normes de particules fines dans l’atmosphère. Le Ministère pourrait donc appliquer la loi comme dans le cas d’Alcan et lancer une poursuite pénale en s’appuyant sur la jurisprudence dans un délai de 5 ans. D’autant plus que, dans le cas d’Arrimage, il aurait intérêt à faire valoir le caractère obligatoire de la loi, puisqu’il dispose déjà de données probantes. Toutefois, l’histoire montre que ce ministère poursuit très peu en justice les contrevenants. En 2010, le Commissaire au développement durable a fait une enquête sur l’application de la Loi sur la qualité de l’environnement. Le rapport montre que plus de la moitié des entreprises demeurent en infraction par rapport à la législation, même après des avis d’infraction du Ministère, et que celles qui se conforment à la loi mettent souvent beaucoup de temps à le faire. L’une aurait même mis plus de 17 ans! Le ministère de l’Environnement semble plus collaboratif que coercitif pour faire appliquer la Loi sur la qualité de l’environnement. Pourtant, il faudrait qu’un nombre suffisant de recours ait lieu pour que les organisations assujetties à la législation prennent conscience qu’elle est obligatoire.

Comment arriver à concilier l’activité économique du Port de Québec avec la qualité de vie des citoyens, surtout depuis l’épisode de la construction du terminal de granules de bois en bordure du fleuve?

Cela pose beaucoup de questions sur l’aménagement du territoire pour s’assurer d’éliminer les inconvénients générés par les activités portuaires. Il faut se demander si le silo est bien intégré au projet de Port, d’autant plus que ce dernier se présente comme une entreprise citoyenne qui met l’accent sur les relations avec la communauté. Dans ce dossier, on doit garder à l’esprit qu’une partie des installations ne se trouve pas en milieu industriel, mais dans un milieu historique reconnu. Nous sommes dans une ville du patrimoine mondial de l’UNESCO, et l’arrondissement historique de Québec comprend la basse-ville et le port. Les activités qui s’y rattachent touchent donc la culture, mais aussi la beauté de la ville, une de nos plus importantes ressources commerciales. Les décisions prises par le Port ont donc des effets sur le développement de la ville; il faudrait y réfléchir collectivement. Imaginez si le Port de Québec décidait d’utiliser ses terrains voisins de la promenade Samuel-De Champlain pour empiler des conteneurs!

via Trois questions à Paule Halley – Le Fil – Université Laval.

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