Qualité de l’air autour du Port de Québec: un dossier vieux de… 35 ans | Le Soleil.

Publié le 05 janvier 2015 à 05h00 | Mis à jour à 07h29

Qualité de l’air autour du Port de Québec: un dossier vieux de… 35 ans

La problématique de pollution de l’air autour des installations portuaires a été largement documentée dans les années 80, alors que le Port manutentionnait vingt fois moins de marchandises qu’aujourd’hui. PHOTOTHÈQUE LE SOLEIL, ERICK LABBÉ

ANNIE MORIN

Le Soleil

(Québec) Alors que les épisodes de poussières rouges et le dépassement des normes de nickel sont aujourd’hui présentés comme des accidents de parcours, il appert que la problématique de pollution de l’air autour des installations portuaires a été largement documentée dans les années 80 par le Port de Québec lui-même.

Véronique Lalande, porte-parole de Vigilance Port de Québec, est surprise que les autorités n’aient pas vu à l’application des mesures suggérées par les études environnementales datant des années 80. PHOTOTHÈQUE LE SOLEIL

C’est le groupe citoyen Vigilance Port de Québec qui a mis la main sur les études environnementales en lien avec le projet d’agrandissement – on parlait alors d’«extension» – du port de Québec. Des copies ont été déposées lors de la dernière réunion du Comité de vigilance des activités portuaires.

Réalisées par les firmes de consultants Pluram et Roche en 1981 et 1983, ces études ont été commandées par l’administration portuaire et décrivaient avec moult détails les problèmes de qualité de l’air dans les environs du port et plus particulièrement dans Limoilou.

On y apprend notamment que le travail de documentation a commencé au cours de la décennie précédente, alors que le ministère de l’Environnement du Québec, la Ville de Québec et la Communauté urbaine de Québec (CUQ) installaient et surveillaient des stations d’échantillonnage de l’air ambiant.

Dépassements de normes

Dans l’étude de Roche, 14 stations – il en reste une seule aujourd’hui – ont été retenues en raison de leur proximité avec le port. Pour les particules en suspension, cinq stations présentaient des dépassements de la norme annuelle. Elles étaient situées sur le territoire du port et «dans les secteurs limitrophes situés de part et d’autre de la rivière Saint-Charles». Les neuf autres présentaient «à l’occasion» des dépassements de la norme journalière. Le portrait est pratiquement le même pour les retombées de poussières.

Véronique Lalande, porte-parole de Vigilance Port de Québec, fait remarquer que le corridor de dispersion cartographié est pratiquement le même que celui identifié dans le recours collectif autorisé dans le dossier contemporain de la poussière rouge, soit le Vieux-Limoilou et Maizerets, à la limite de Beauport.

Alors qu’Arrimage Québec a été pointée du doigt récemment, les vieux rapports identifient plusieurs sources potentielles pour ces dépassements, soit le Port et ses locataires, mais aussi la papeterie Reed (White Birch) et l’incinérateur de Québec, dont les équipements ont été modernisés depuis.

À noter que le Port manutentionnait alors vingt fois moins de marchandises qu’aujourd’hui. Dans le vrac, il y avait beaucoup de céréales, ainsi que des concentrés de minerai (zinc, charbon et fer principalement) présentés comme suspects. «Comme le plomb, le zinc est considéré comme une substance incompatible avec un environnement humain et biologique», a déjà écrit Pluram.

Plusieurs recommandations ont été mises de l’avant par les consultants du Port dans les années 80 pour améliorer son bilan environnemental, toujours en lien avec un éventuel agrandissement.

Il était question de canons à eau pour rabattre les poussières au sol, de toiles protectrices sur les amas et les wagons, de hangars pour les produits plus nocifs, d’écrans de verdure ainsi que du nettoyage régulier des rues et des quais. Il était aussi recommandé de cesser les opérations de manutention de vrac solide dès lors que les vents dépassaient 30 kilomètres/heure. À long terme, l’attention était portée sur des systèmes intégrés de chargement, déchargement et d’entreposage en milieu fermé.

«Secret de polichinelle»

Véronique Lalande est à la fois encouragée et découragée d’avoir aujourd’hui accès à toute cette documentation, qui confirme selon elle «un secret de polichinelle». «Les gens savaient, tout était là», martèle-t-elle, surprise que les autorités aient nié le problème récemment et n’aient pas vu à l’application des mesures suggérées il y a 30 ans. «On n’a rien découvert, on a juste remis à jour une problématique réelle qui existait déjà il y a 40 ans», lance la femme.

Celle-ci est particulièrement insultée que toute référence aux effets sur le voisinage ait disparu dans le Plan d’utilisation des sols du Port de Québec publié en 2001. «Les répercussions récurrentes des activités portuaires en dehors de ses secteurs semblent inexistantes en ce qui a trait à la qualité de l’air», peut-on lire.

Mme Lalande espère que le nouveau projet d’agrandissement du Port de Québec sera l’occasion de renforcer la surveillance des activités portuaires et d’appliquer les solutions déjà identifiées. Même si elles datent et que les connaissances environnementales ont beaucoup évolué ces dernières décennies, «je m’en contenterais», dit-elle.

Le Port dit qu’il a changé

Le porte-parole de l’Administration portuaire de Québec assure que le Port a bien changé depuis les années 80.

Anick Métivier a confirmé au Soleil que les études déposées au dernier Comité de vigilance des activités portuaires étaient connues à l’interne, mais pas jugées pertinentes dans le contexte actuel. Voilà pourquoi personne n’y a référé quand le Port s’est fait accuser de polluer l’air des quartiers avoisinants.

M. Métivier fait valoir qu’une centaine de millions de dollars ont été investis au fil des ans pour moderniser les installations et les équipements portuaires. Si la productivité était souvent la première justification, l’environnement en a aussi profité. Parmi les actions entreprises volontairement, M. Métivier pointe l’ajout de dépoussiéreurs, de convoyeurs, de bâches et de hangars. Le zinc, par exemple, est aujourd’hui entreposé dans un lieu fermé, dit-il.

D’autres solutions, comme les incontournables canons à eau, ont été mises en application tout récemment, après les épisodes de poussières rouges. C’est Arrimage Québec qui a absorbé le gros de la facture de 15 millions $. L’arrêt des opérations n’est pas nécessairement ordonné quand les vents soufflent à plus de 30 km/h, mais «le niveau d’alerte s’installe» et les décisions sont prises en fonction du produit manipulé, ajoute le porte-parole.

Celui-ci revient sur une conclusion de l’époque : «Environnement Québec avait fait valoir qu’il était difficile de quantifier la part de dégradation de la qualité de l’air qui était imputable au Port.» Cet argument a été réutilisé quand les taux de nickel dans l’air ambiant ont fait la manchette.

En attente d’un bilan

Suzanne Verreault, conseillère municipale de la Ville de Québec et présidente du Comité de vigilance, affirme pour sa part avoir été surprise de la masse de données publiées il y a des dizaines d’années et aurait apprécié une divulgation proactive de la part des autorités portuaires.

«La grande question à laquelle le Port devra maintenant répondre, c’est : qu’est-ce qu’on a fait entre ces études et octobre 2012», date du gros nuage de poussière rouge qui s’est déposé sur Limoilou. «Je ne pense pas que beaucoup de ces recommandations-là avaient été mises en place», lance-t-elle comme hypothèse.

Reconnaissant que des sommes importantes ont été investies dernièrement, l’élue attend avec impatience un bilan des nouvelles mesures. Elle veut savoir si elles permettent effectivement d’abaisser les niveaux de pollution de l’air. Car, selon elle, le flou «n’est plus acceptable». Et elle ajoute: «Surtout qu’on parle d’un projet d’agrandissement.»

Le ministère québécois de l’Environnement n’a pas répondu à la demande de renseignements du Soleil.

Balises pour la protection du milieu

Travaux en dehors des périodes de migration des oiseaux, contrôle de la circulation des camions, utilisation de barrières flottantes autour des navires, érection d’écrans de verdure…

Il y a 30 ans, la commission fédérale chargée d’évaluer le projet d’agrandissement du port de Québec mettait des balises pour assurer la protection de tout le «milieu biophysique» pendant la construction et après.

Dans leur rapport publié en 1984, les membres étaient aussi d’avis que le Port de Québec devait «consulter formellement les principaux intervenants régionaux» avant l’implantation d’une nouvelle activité sur les quais et «se donner un comité de surveillance des mesures d’atténuation prévues».

Roche écrivait auparavant dans son avis que «toutes les normes environnementales fédérales et provinciales de même que celles du Port de Québec devront être rigoureusement respectées par les futurs clients au cours de toutes leurs activités».

Le Port et deux de ses principaux locataires, IMTT-Québec et Arrimage Québec, contestent actuellement la compétence du provincial en territoire fédéral.

via Qualité de l’air autour du Port de Québec: un dossier vieux de… 35 ans | Annie Morin | Environnement.

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