Dépoussiérer une idée reçue | Le Fil.

Volume 51, numéro 1323 décembre 2015 | Le Fil, Le journal de la communauté universitaire

Dépoussiérer une idée reçue

Le présupposé déficit de connaissances des citoyens en prend pour son rhume à Limoilou

Le 2 juin 2013, environ 200 personnes participaient à une manifestation dénonçant les émissions de métaux lourds causées par les activités portuaires. Véronique Lalande, à gauche sur la photo, est la preuve vivante que des citoyens peuvent être des acteurs clés dans un débat socioscientifique.

La controverse autour des poussières métalliques dans les quartiers centraux de Québec n’est pas encore terminée, mais déjà une conclusion s’impose. Le présupposé déficit de connaissances, qui disqualifierait les citoyens de toutes discussions techniques portant sur la qualité de leur environnement, ne tient pas la route. Voilà la position défendue par Chantal Pouliot, professeure en didactique des sciences à la Faculté des sciences de l’éducation, lors de la Journée Métasciences 2015, présentée le 17 décembre à l’Institut de biologie intégrative et des systèmes.

Spécialiste des interactions entre les citoyens et les scientifiques et elle-même résidente du quartier Limoilou, la professeure Pouliot a rappelé les grandes lignes de cette controverse et le rôle central joué par des citoyens dans son évolution. Le 26 octobre 2012, une résidente du quartier, Véronique Lalande, constate qu’une poussière rouge recouvre les trottoirs, les rues, les autos et les immeubles de son quartier. Elle contacte la Ville de Québec, qui confie le cas à Urgence-Environnement du ministère du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs. L’équipe dépêchée sur place lui fait comprendre que ces poussières proviennent probablement du port de Québec, situé à proximité. Trois jours plus tard, Arrimage du St-Laurent confirme, par voie de communiqué, que cette poussière est de l’oxyde de fer mis en suspension lors du déchargement d’un bateau, mais qu’il s’agit d’un événement isolé et que les risques pour la santé sont faibles.

Choqués du peu de cas qu’on fait de l’incident, Véronique Lalande et son conjoint, Louis Duchesne, un scientifique de formation, effectuent des prélèvements de poussière et les font analyser, à leurs frais, dans un laboratoire privé. Les résultats contredisent la version officielle de l’affaire : la poussière contient plusieurs métaux lourds, notamment du fer, du nickel, du zinc, du cuivre et du plomb, en concentrations appréciables. Le couple alerte les médias, crée l’Initiative citoyenne de vigilance du Port de Québec, et avec l’aide d’autres résidents de la région, démontre que ces émissions de particules se répètent dans le temps et au-delà du quartier Limoilou.

«Les citoyens ont participé à la définition du problème et à sa redéfinition en montrant qu’il ne s’agissait pas d’un cas isolé et que la situation était plus complexe et plus dommageable pour la santé que ce que la compagnie Arrimage  du St-Laurent et le Port de Québec laissaient entendre au départ, constate Chantal Pouliot. Ils ont produit des analyses et des rapports scientifiques qui servent maintenant de documents de référence dans le dossier. Finalement, ils ont formulé des recommandations et des pistes de solutions. Le postulat voulant que les citoyens soient incapables de comprendre des enjeux complexes ne tient pas ici. Non seulement ont-ils fait la démonstration qu’ils pouvaient participer aux discussions, mais ils sont devenus des experts de la question de la qualité de l’air dans leur quartier», estime la professeure, qui a d’ailleurs publié cet automne, chez Carte blanche, Quand les citoyen.ne.s soulèvent la poussière, un ouvrage qui documente cette lutte citoyenne.

Fait intéressant, des études réalisées au début des années 1980 par des firmes de consultants mandatées par le Port de Québec ont refait surface il y a quelques mois. Ces études faisaient déjà état de problèmes de pollution de l’air dans Limoilou, mais les mesures alors proposées pour enrayer l’émission de poussières au port étaient restées lettre morte. «Il se peut que l’asymétrie de pouvoir qui existait entre la population et les autorités portuaires ait favorisé une inertie sociopolitique, avance la professeure Pouliot. Les populations actuelles des quartiers centraux ne sont plus les mêmes qu’il y a 30 ans. Louis Duchesne a une formation scientifique et Véronique Lalande est diplômée en droit. Leur engagement dans ce dossier montre que les citoyens peuvent être des acteurs clés dans un débat socioscientifique.»

Source : Dépoussiérer une idée reçue – Le Fil – Université Laval

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